Traduction par Miguel Ángel Real

Ce livre fait cohabiter le jazz et la poésie. Chaque poème est précédé d’une note biographique des musiciens et les textes s’inspirent librement des thèmes choisis, que l’on peut également écouter sur Spotify (https://cutt.ly/enclavedejazz) ou Youtube (https://cutt.ly/videosenclavedejazz)

Memories of You

Thelonious Monk

Todavía,

a veces,

siguen apareciendo recuerdos

como balas perdidas,

como minas de tierra.

Decían que las bombas

solo matarían en el combate,

que después vendría la paz,

los brindis con cava,

las ventanas abiertas,

los besos en la avenida,

las banderas de color morado.

Pero siguen explotando

los recuerdos hechos metralla.

Ya he perdido un pie,

las caderas

y la vista.

Y sigue doliendo

en esta posguerra tan fría

MEMORIES OF YOU

THELONIUS MONK

Parfois,

des souvenirs apparaissent

encore

comme des balles perdues,

comme des mines de terre.

On disait que les bombes

tueraient seulement au combat,

qu’ensuite viendrait la paix,

les toasts au champagne,

les fenêtres ouvertes,

les baisers sur l’avenue,

las drapeaux mauves.

Mais les souvenirs transformés en mitraille

explosent toujours.

J’ai déjà perdu un pied,

les hanches

et la vue.

Et cela fait toujours mal

dans cette après-guerre si froide.

STARDUST

CARMEN MCRAE

Un día rompes un jarrón.

Por ira o por torpeza,

pero lo rompes.

Después te arrepientes,

te sientes mal,

compras todos los pegamentos

en la ferretería de la esquina,

le pides perdón,

—por si acaso los jarrones rotos

fueran sensibles a las disculpas—.

Pero el jarrón sigue roto,

hecho añicos,

polvo de estrellas.

Y tú tienes que aprender a vivir

con la angustia de saber

que tienes la terrible capacidad

de romper jarrones,

por ira o por torpeza.

STARDUST

CARMEN MC RAE

Un jour tu casses un vase.
Par colère ou par maladresse.

Mais tu le casses.

Ensuite tu regrettes,

tu te sens mal,

tu achètes toutes les colles

dans la quincaillerie au coin de la rue,

tu lui demandes pardon

-au cas où les vases cassés

seraient sensibles aux excuses-.

Mais le vase est toujours cassé,

            en mille morceaux,

                        poussière d’étoiles.

Et tu dois apprendre à vivre

avec l’angoisse de savoir

que tu as la capacité terrible

de casser des vases,

par colère ou par maladresse.

THE SIDEWINDER

LEE MORGAN

Una serpiente puede tragarse un elefante

y diez años después

todavía querrán que creas

que no era tan enorme,

que no era tan elefante,

que no era tan serpiente,

que algo malo habría hecho

aquel mastodonte,

ponerse en medio,

pisar la hierba que no era suya

—aunque lo fuera—,

no pensar lo mismo,

ni de la misma forma

que la sacrosanta serpiente.

Todavía será peor cuando quieran

—porque querrán—

hacerte creer que no era una serpiente,

ni mucho menos un elefante.

La sombra de un árbol,

un accidente geográfico,

un sombrero.

Ni rastro del elefante,

ni de la serpiente.

Una serpiente puede tragarse un elefante

y cincuenta años después

no quedar ni los huesos.

Y  entonces ya no será necesario

culpar al elefante

ni esconder sus restos.

Pueden reptar sobre el desierto,

escupir cianuro,

generar la  duda,

hasta que nadie se acuerde

del garrote vil,

de los depurados,

de los campos de exterminio,

de las mujeres violadas,

ni de sus cráneos afeitados.

Ya no será ni siquiera un sombrero,

ni una serpiente,

ni un elefante.

Solo la voz del veneno.

THE SIDEWINDER

LEE MORGAN

Un serpent peut avaler un éléphant

et dix ans après

on voudra encore te faire croire

qu’il n’était pas si énorme,

qu’il n’était pas si éléphant,

qu’il n’était pas si serpent,

qu’il avait dû faire quelque chose de mal

ce mastodonte,

se mettre devant,

marcher sur la pelouse qui n’était pas à lui

-même si elle l’était-,

ne pas penser pareil,

ni de la même façon

que le sacro-saint serpent.

Ce sera encore pire quand ils voudront

-car ils voudront-

te faire croire que ce n’était pas un serpent,

et beaucoup moins un éléphant.

L’ombre d’un arbre,

un accident géographique,

un chapeau.
Aucune trace de l’éléphant

ni du serpent.

Un serpent peut avaler un éléphant

et cinquante ans après

il ne restera même pas les os.
Et alors ce ne sera plus nécessaire

de blâmer l’éléphant

ni de cacher ses restes.

Ils peuvent ramper dans le désert,

cracher du cyanure,

générer le doute,

jusqu’à ce que personne ne se rappelle

le supplice du garrot,

les dépurations,

les camps d’extermination,

les femmes violées,

ou leurs crânes rasés.

Ce ne sera même pas un chapeau,

ni un serpent,

ni un éléphant.
Rien que la voix du poison.

LA MER

DJANGO  REINHARDT

Es verdad, nunca te lo dije,

pero fuiste lo mejor

del año del abismo.

No te di las gracias

por saber ahogar tus lágrimas

para beberte las mías.

Tampoco te apreté la mano

cuando te desmoronabas

en mi hibernación hecha granizo.

Tù solo seguías a mi lado

cosiendo las sábanas que cada noche

rompía en mis pesadillas.

Por la mañana, en silencio,

exorcizabas con lejía los cristales

por si de repente dejaba entrar el aire.

Nunca te lo dije, es verdad,

pero que me trajeras el mar a casa

me mantuvo a flote.

LA MER

DJANGO REINHARDT

C’est vrai, je ne te l’ai jamais dit,

mais tu as été le meilleur

dans l’année de l’abîme.

Je ne t’ai pas dit merci

pour avoir su avaler tes larmes

pour boire les miennes.

Je ne t’ai pas serré la main non plus

quand tu t’effondrais

pendant mon hibernation devenue grêle.

Tu restais tout simplement à côté

à coudre les draps que chaque nuit

je déchirais dans mes cauchemars.

Le matin, en silence,

tu exorcisais les vitres à la javel

au cas où soudainement j’aurais laissé rentrer l’air.

Je ne te l’ai jamais dit, c’est vrai,

mais m’avoir apporté la mer à la maison

m’a fait me maintenir à flot.

© Ediciones Lastura, 2020